« Quel intérêt à se constituer partie civile ? » est l’une des premières questions que les proches d’une victime d’un crime sont amenés à se poser. Étant confrontés bien souvent pour la première fois à la justice pénale, il est vrai qu’il peut être difficile d’en saisir les enjeux.
Pour simplifier les explications, j’exposerai ici la situation appliquée aux cas de féminicide, c’est-à-dire aux atteintes volontaires à la vie commises par conjoint ou ex-conjoint.
- A quel moment se pose cette question ?
Cette question intervient pour la première fois lors de l’ouverture d’une instruction.
Dans les cas d’atteintes volontaires à la vie, dans la mesure où il s’agit de faits de nature criminelle, l’ouverture d’une instruction est obligatoire, bien souvent après une rapide enquête diligentée lors de la disparition de la personne ou la découverte du corps.
J’exclu ici l’hypothèse d’une ouverture d’instruction par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, hypothèse heureusement peu fréquente dans les cas de féminicide.
L’instruction est donc en principe ouverte par un réquisitoire du procureur de la République et est conduite ensuite sous l’autorité d’un juge d’instruction.
A la différence de l’enquête, l’instruction est une phase procédurale d’investigation qui peut être assez longue et qui est marquée par le contradictoire.
Cela signifie que se font face au cours de cette procédure :
- Le mis en examen, c’est-à-dire celui qui est suspecté d’avoir commis le crime ;
- Le procureur de la République, dont l’avis est régulièrement sollicité par le juge d’instruction au cours de la procédure ;
- Les parties civiles qui sont les proches de la victime directe ou la victime directe elle-même si celle-ci est encore en vie.
Le juge d’instruction est ainsi celui qui dirige les investigations mais en présence de l’ensemble de ces parties qui ont des droits spécifiques.
- Comment se constituer partie civile ?
La constitution de partie civile est donc l’acte par lequel les proches d’une victime directe font part au juge de leur volonté d’être partie à la procédure, et de se voir ainsi reconnaitre les droits.
Lors de l’ouverture de l’instruction, le juge d’instruction doit adresser aux proches de la victime directe ou à la victime elle-même un « avis à victime ». Ce courrier est destiné à donner aux destinataires les informations nécessaires pour se constituer partie civile.
La constitution de partie civile se fait par le biais d’un courrier adressé au juge d’instruction. Il est prudent à ce stade de choisir un avocat qui se chargera de faire cette démarche pour vous et vous représentera au cours de la procédure.
La constitution de partie civile peut intervenir à tout moment au cours de la procédure, y compris pour la première fois devant la juridiction de jugement. Toutefois, il est vivement préférable de se constituer partie civile le plus tôt possible pour pouvoir prendre une part active à l’établissement de la vérité.
- Quels sont les droits de la partie civile ?
Autrefois parent pauvre de la procédure d’instruction, la partie civile s’est vue reconnaitre au fil des années une place de plus en plus grande au cours de l’instruction, jusqu’à être aujourd’hui une partie à part entière au même titre que le mis en examen.
A ce titre, la partie civile dispose de droits importants, parmi lesquels on peut citer :
- Le droit d’accéder au dossier et d’en avoir une copie : chaque acte d’investigation accompli au cours de l’instruction donne lieu à l’établissement d’un procès-verbal. Ce sont l’ensemble de ces procès-verbaux qui constituent le dossier pénal.
Ainsi, le premier de tous les droits qui est conféré à la partie civile est le droit d’accéder au dossier pénal, ce qui lui permet d’être informée du déroulement des actes d’investigation diligentés.
Ce droit est absolument essentiel car il est malheureusement faux de penser qu’il faut s’en remettre aveuglément à l’institution judiciaire pour que tout se passe bien. Loin de moi l’idée que les juges et les enquêteurs sont nécessairement des incompétents, mais c’est une évidence que nul n’est à l’abri de commettre des erreurs, spécialement lorsque l’on exerce des professions aussi difficiles, qui plus est dans des conditions matérielles souvent loin d’être idéales.
Le premier des rôles d’une partie civile est ainsi celui d’être une vigie attentive du bon déroulement des investigations.
Concrètement, cela signifie que la partie civile a le droit de consulter le dossier pénal au greffe du juge d’instruction et à s’en faire remettre une copie soit par l’intermédiaire de son avocat, soit directement si elle n’a pas d’avocat.
En théorie, l’article 114 du code de procédure pénale prévoit que ce droit d’accès au dossier ne s’exerce qu’à partir de la première audition de partie civile mais, fort heureusement, les juges d’instruction font en pratique preuve de plus de souplesse, permettant aux parties civiles d’avoir accès au dossier immédiatement, dès lors que leur constitution de partie civile n’est pas contestée par le procureur de la République.
- Le droit de demander la réalisation d’actes d’investigation : la partie civile dispose du droit de demander au juge d’instruction qu’il soit procédé à tout acte d’investigations nécessaire à la manifestation de la vérité.
Ces actes d’investigation peuvent être très divers : demande d’audition d’un témoin, demande de confrontation entre deux personnes aux déclarations divergentes, demande d’expertise, demande de reconstitution…etc.
Il s’agit d’un corollaire indispensable au droit d’accès au dossier pénal, qui permet de prendre une part active à la recherche de la vérité.
- Le droit de prendre une part aux opérations d’expertises : en matière criminelle, la preuve scientifique prend une place sans cesse plus grande dans l’établissement de la vérité. Au cours de l’instruction, cela se manifeste par de nombreuses expertises scientifiques qui sont ordonnées par le juge d’instruction.
Lorsque l’expert remet son rapport, celui-ci doit être notifié aux parties civiles qui disposent du droit de formuler des observations, de demander un complément d’expertise ou de solliciter une contre-expertise dans un délai imparti par le juge d’instruction, généralement de 15 jours.
Ce droit est essentiel car ensuite, il n’est plus possible de demander une expertise ayant le même objet. Or, l’on sait que certaines expertises peuvent jouer un rôle de preuve absolument essentiel pour tenter de reconstituer le déroulement du crime.
Il va sans dire qu’être accompagné par un avocat est ici essentiel car interpréter les expertises criminelles nécessite des connaissances techniques spécifiques.
En guise de conclusion de ce rapide et bref panorama, il m’apparait essentiel d’insister sur l’importance du rôle qui est celui des parties civiles dans la recherche des preuves et l’établissement de la vérité.
Trop souvent encore, les parties civiles se cantonnent à un rôle accessoire tout au long de l’instruction alors même que c’est là que tout se joue, que se bâtit le récit qui sera ensuite débattu devant la juridiction de jugement. Ce qui n’a pas été fait pendant l’instruction ne peut être réalisé ensuite, et l’on sait aujourd’hui de plus en plus que des choses déterminantes peuvent se dérouler pendant cette phase.
Bien sûr, lorsque l’on est durement éprouvés par la perte d’un être proche et peu familier de la justice pénale, le déroulement de la procédure pénale et ce qui se passe à l’instruction peut paraitre dérisoire. Pourtant, c’est à mon sens essentiel que les proches de victimes se constituent partie civile au plus tôt et prennent une part active à la recherche de la vérité car quand vient le temps du procès, il peut malheureusement être trop tard pour remettre en cause certains éléments de preuve déterminants.
J’en terminerai par aborder une dernière question : est-il nécessaire d’être assisté par un avocat ? Ce n’est pas obligatoire en théorie, une personne non représentée par un avocat peut parfaitement se constituer partie civile et accéder à son dossier.
Toutefois, il est bien évident qu’en raison de la technicité de la procédure pénale et de la charge émotionnelle portée par les proches d’une victime ou par la victime elle-même, il est vivement préférable d’être accompagné par un avocat compétent et aguerri aux spécificités de la procédure pénale en matière criminelle.
Célia Chauffray
Avocate au barreau de Paris